Depuis sa découverte en Ethiopie estimée aux alentours de 850 après JC, le café n’a cessé d’évoluer pour devenir aujourd’hui une boisson indispensable pour des millions de consommateurs. Comme toutes marchandises utilisées quotidiennement, le café a aussi eu son lot de changement et d’habitudes tout au long de son histoire. Et que ce soit pour stimuler l’ardeur des prières nocturnes des religieux chrétiens ou soufis lors de ses premières utilisations ou comme vent de contestation pour protester contre l’hégémonie du thé des colonisateurs anglais en Amérique du nord (voir la Boston Tea Party de 1773), cette boisson n’a eu de cesse de faire partie intégrante de l’histoire de l’humanité depuis plus d’un millénaire.
Conjointement à l’évolution fulgurante liée au démarrage de l’ère industrielle, le café n’a pas été en reste pour s’imposer très rapidement dans les habitudes alimentaires du quotidien. Afin d’essayer de marquer temporellement ce succès et comprendre la mécanique des différents chamboulements qui l’entoure, un terme est apparu, peut-être l’avez-vous avez surement déjà entendu au détour d’une conversation entre geeks du café, c’est celui de « vague » même plus précisément le terme de « 3ème vague », « third wave » en anglais.
C’est en 2002 dans le Roasters Guild Publication que Trish Rothgeb définit pour la 1ère fois les 3 principaux mouvements du café comme des vagues dans la distribution et la production de masse. Ces vagues successives représentent des marqueurs chronologiques liés à l’évolution de la consommation du café, elle-même façonnée par le changement social et les évènements relatifs à leur l’époque tout en s’appuyant sur des critères assez précis comme la provenance des grains de café, et la façon dont celui-ci est cultivé, récolté, emballé, transporté voir traité et torréfié.
Et même si l’on parle de périodes distinctes pour identifier ces différentes vagues, il est important de souligner que chaque vague n’a pas de date de fin. C’est-à-dire qu’une vague peut se confondre en une autre et chacune d’elles existent encore belle et bien aujourd’hui, comme par exemple la part du café soluble qui va exploser dans la 1ère vague et qui trouve encore toute sa place dans la consommation d’aujourd’hui.

La 1ère vague
Avant le XIXème siècle, le café était réservé essentiellement aux classes sociales supérieures et aux milieux intellectuels. La plupart des cafés préparés à la maison étaient achetés sous forme de grains de cafés verts et torréfiés à la maison. Vers 1800, la disponibilité croissante suite à une marchandisation du café moulu transforme le café en un objet du commerce mondial. Il est alors introduit dans les foyers et les bureaux, cependant ces nouveaux consommateurs ne se focalisent pas sur l’origine, la qualité, ni même la saveur de ce produit devenu rapidement accessible pour tous mais sur ses propriétés énergisantes.
Cela s’explique par le fait que les moulins à café n’existaient pas encore sous une forme qualitative comme il peuvent l’être aujourd’hui et que le café était conditionné majoritairement moulu. De plus, si la quantité primait sur la qualité, l’expérience de la torréfaction et les quantités importées n’étaient pas une expertise et on en profitait donc pour prendre des quantités non-évaluées. Cette 1ère vague représente alors essentiellement la découverte du café pour son rituel quotidien où l’on boit de ce breuvage noir pour ses effets stimulants, que ce soit surtout au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Vers 1850 apparaissent les 1ers entrepreneurs de café comme Folger’s (1850) et Maxwell House (1892) qui vont être à l’initiative de cette expansion avec la distribution à grande échelle du café moulu et l’invention du percolateur, un moyen simple de préparer le café à la maison.
Au début du XXème siècle, le café instantané fait son apparition grâce à Satori Kato, un chimiste américano-japonais, qui brevète son invention et donne un élan sans précédent à la consommation grâce à son stockage et sa facilité d’infusion. Puis Nestlé entre dans la danse en créant sa marque Nescafé au début des années 30 et en mettant en place une ligne de production à grande échelle d’extraction de café et de séchage par atomisation. Ainsi en à peine 10 ans, Nescafé est présent dans une trentaine de pays.
Facile et rapide à préparer, peu cher, accessible, le café instantané trouve toute sa place dans une époque marquée par de nombreuses crises telle que la seconde guerre mondiale, où il réconforte et donne du courage aux milliers de soldats envoyés sur les différents fronts et qui ne manqueront pas une fois la guerre terminée de ramener cet usage dans leurs pays.
Les ventes de café ont ainsi explosé lors de cette 1ère vague grâce à la demande de masse et l’efficacité de distribution des supermarchés. Le percolateur et le café instantané ont marqué cette 1ère vague jusque dans les années 1970 où va commencer à se développer parallèlement la 2ème vague.

La 2ème vague
Cette vague marque une étape importante dans l’expérience café pour l’utilisateur, celui de la curiosité pour un produit finalement bien trop méconnu. Ainsi une demande pour obtenir un café de meilleur qualité et connaitre son origine se fait de plus en plus pressante. C’est l’introduction du concept de pays d’origine pour les consommateurs de café au-delà de la tasse de café générique.
En 1966, Pett’s Coffee, un détaillant de café installé dans la baie de San Francisco présente aux américains amateurs de café, le café Arabica « gourmand » torréfié à la main. Le goût et la notion de plaisir s’associent alors au café. Les questions sur les nouvelles formes d’infusion et l’origine du café apparaissent en même temps que Starbucks, qui devient rapidement la chaîne de café multinationale la plus célèbre au monde.
Starbucks capitalise sur cette nouvelle appréciation des consommateurs pour le « bon café » en proposant à ses clients le temps et l’espace pour le faire. Axé sur le confort et la détente avec un espace salon comblant le fossé entre le bureau et la maison, Starbucks leur apporte une expérience de café plus complète transformant le café comme un luxe au quotidien à savourer.

Lors de cette 2ème vague, on assiste à la diversification des boissons à base de café devenant une expérience multisensorielle tels que les frappuccinos, les lattés ou les sirops aromatisés pour attirer un public beaucoup plus jeunes et branchés. De nombreuses chaines de cafés reproduisent ce style et commencent à offrir une gamme de cafés étendue devenant ainsi des lieux de vie et de rencontres à la mode. On assiste aussi à l’émergence du « take away » avec le gobelet en carton pour emmener son café où l’on souhaite.
Par ailleurs, l’arabica commence à prendre le dessus sur le robusta pour sa qualité et de nouvelles certifications et programmes axés sur la durabilité sont lancés stimulés par les préoccupations environnementales des années 70.
Comme une révolution ne fait jamais seule, on assiste à l’éclosion du café de spécialité lors de cette 2ème vague. Ce terme de café de spécialité fait son apparition dans le Tea & Coffee Trade Journal en 1974 par une des premières icônes de l’industrie du café, Erna Knutsen. Secrétaire dans une compagnie d’import de café et d’épices dans la région de San Francisco, elle décrit plus précisément ce concept totalement révolutionnaire, qui confère à chaque maillon de la chaîne de café un rôle capital. L’adéquation parfaite entre terroir, microclimat, chimie du sol et agriculture crée la base du café de spécialité. Avec d’autres professionnels du café, elle sera une des fondatrices de la SCA (Specialty Coffee Association) en 1982 qui définit tous les critères du café de spécialité aujourd’hui.

Ainsi, le consommateur, devenu plus exigeant, a mis l’accent sur la qualité du café et sa popularisation en tant que tendance sociale. Il n’en fallait pas plus pour voir une nouvelle vague émergée, celle de l’histoire du café derrière la tasse et de l’expérience artisanale.
La 3ème vague
A la fin des années 90 et au début des années 2000, les consommateurs prennent conscience que la variété, l’origine, le process de fermentation, la torréfaction et la manière de le préparer affectent le goût en tasse.
Le café de spécialité y trouve alors toute sa place portée par une clientèle soucieuse et plus curieuse de la qualité couplée par l’essor d’internet qui apporte son lot de partage d’informations. Le goût pour le bon café évolue et on assiste à une attirance en tasse pour la complexité, une plus grande acidité et une manière de maitriser l’extraction pour faire ressortir les saveurs uniques du grain de café. Tout est ainsi tiré vers le haut avec également de nouvelles méthodes de fermentation expérimentales, ainsi que de nombreuses innovations et l’apparition de la data dans le processus de torréfaction.
En devenant plus curieux, le consommateur est également devenu plus responsable et tous les acteurs de la chaîne ont dû réagir. Le service est maintenant au cœur de l’expérience par des baristas passés de serveurs de café à celui d’artisans qualifiés respectés pour leurs connaissances et créateurs d’une excellence tasse de café. Comme en atteste l’arrivée des 1ers championnats du monde des baristas en 2000. Au fur et à mesure que le barista devient plus qualifié et le consommateur plus informé, un dialogue peut s’engager derrière l’histoire de la tasse de café. En complément, le producteur est enfin mis sur le devant de la scène par les 1ères ventes aux enchères de café avec la Cup of Excellence à la fin des années 90 qui lui assure un revenu conséquent mérité.
La 3ème vague s’appuie essentiellement sur l’artisanat, la spécialité et l’individualité face à une industrie du café qui était jusque-là largement générique. En apportant une plus grande proximité et un plus grand dialogue entre l’exportateur, le torréfacteur, le consommateur et le producteur, le café de 3ème vague devient un produit répondant à un besoin de transparence, d’une meilleure qualité; une expérience en soi en fin de compte.
Les amateurs le considèrent comme un art au même titre que les vins et les thés de ce monde. On perfectionne les techniques d’extraction, on vérifie la provenance des grains, on sublime les torréfactions, on cherche connaitre l’origine, le terroir, les fermes et les cultivateurs.
La torréfaction devient un métier artisanal qualifié comme pour le vin, la bière ou le whisky en apportant de l’attention méticuleuse aux nombreux facteurs qui affectent les saveurs et les arômes du café. On commence à mettre en avant le « Slow Coffee » ou « méthodes d’extraction lente » et le consommateur favorise également le produit original dont les Single Origins, purement originaire d’une seule et même parcelle.
Cependant, le café de spécialité que l’on retrouve dans la 3ème vague n’est qu’une niche dans la niche car ne représente en fin de compte que 2% de la consommation totale mondiale. Les industriels surfent sur un peu sur toutes les vagues en même temps comme par exemple l’ouverture de la Starbucks Reserve Roastery and Tasting Room et sa micro-torréfaction, ou encore le rachat par Nestlé pour plusieurs millions de dollars de la fameuse enseigne Blue Bottle fondée en 2002 par James Freeman, ce qui annonce l’arrivée d’une 4ème vague.

Et la 4ème vague?
On peut logiquement remarquer que le café de la 3ème vague a des limites en termes d’évolutivité car comme nous l’avons vu, le café de spécialité représente un faible pourcentage de la consommation globale et cible seulement de petits segments d’usagers. Pour être plus impactant et toucher un plus grand nombre de consommateurs, il serait peut-être utile de prendre et de garder le meilleur de ce que chaque vague a pu nous apporter. Par exemple, l’approche commerciale d’une 2ème vague peut considérablement augmenter l’impact socio-économique de la filière si on l’associe aux modèles de durabilité de la 3ème vague.
Dans ce sens, on remarque que les industriels commencent à proposer des produits « premium » de meilleure qualité à des prix plus accessibles en ouvrant le café haut de gamme à un public moins élitiste. Et dans l’autre sens, de nombreuses marques de café de spécialité adoptent une approche plus commerciale en proposant des produits tels que des capsules recyclables, du café instantané ou des options prêtes à boire en ayant conscience qu’une économie d’échelle est utile pour se développer. En vendant plus de café à un prix équitable, toute la chaine d’approvisionnement du café peut en profiter plutôt que de vendre de petites quantités à un prix plus élevé, ce qui est également plus avantageux pour le producteur qui est le pilier essentiel de la filière.
Dans un monde du café où le bouleversement climatique va amener la moitié des cultures à disparaitre de moitié d’ici 2050, la prise de conscience environnementale et sociétale sera primordiale pour tous les acteurs de la chaine. La 4ème vague pourrait donc être de développer le marché du café de spécialité à un groupe de consommateurs beaucoup plus large par une commercialisation qui préserveraient les paramètres fondamentaux de qualité et de durabilité tout en y ajoutant toujours plus de valeurs dans sa chaine d’approvisionnement.
